L’évaluation de la crédibilité d’un enfant, une science aléatoire ?

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Pourquoi est-ce qu’un enfant inventerait une telle histoire?

En matière d’infraction contre l’intégrité sexuelle, il est de plus en plus courant que les Tribunaux aient recours à des experts et particulièrement dans les infractions commises à l’encontre d’enfants.

En effet, souvent les enfants sont amenés à effectuer des déclarations, dans un cadre familial, et il est important que l’enfant puisse être écouté selon un protocole bien établi pour éviter toute pollution dans son témoignage (sur la Méthode dite NICHD, cf. TF 6B_288/2017).

Ce n’est quand dans une deuxième étape que l’interprétation du témoignage se pose.

Le Tribunal fédéral pour évaluer la crédibilité d’un témoin a accepté la méthode dite de l’analyse du témoignage. Cette méthode est tant applicable aux adultes qu’aux enfants.

Selon celle-ci, les témoignages relatant des événements factuels réellement vécus sont qualitativement différents de déclarations qui ne sont pas fondées sur l’expérience vécue. Dans un premier temps, on examinera par conséquent si la personne interrogée, compte tenu des circonstances, de ses capacités intellectuelles et des motifs du dévoilement, était capable de faire une telle déposition même en l’absence d’un vécu réel. Cette procédure complexe est une sorte de mise à l’épreuve d’hypothèses dans le cadre de l’analyse de contenu (critères d’analyse appelés aussi axes d’orientation), de l’évaluation de la genèse de la déclaration et du comportement, complétée par l’analyse des caractéristiques du témoin, de son vécu, de son histoire personnelle notamment ainsi que de divers éléments extérieurs. Lors de l’expertise de la validité d’un témoignage, il faut toujours garder à l’esprit que la déclaration peut ne pas être fondée sur la réalité. Lorsqu’on arrive à la conclusion que l’hypothèse (selon laquelle les allégations sont fausses) ne correspond pas aux faits constatés, on la rejette. On accepte alors l’autre membre de l’alternative, soit l’hypothèse selon laquelle la déclaration est vraie. Dans ce contexte, on procédera aussi à l’analyse de l’origine et du développement du témoignage (genèse du témoignage). On distinguera strictement la crédibilité de la personne et la validité des déclarations proprement dites, qui constitue en soi l’objet de l’expertise psychologique du témoignage (ATF 129 I 49 consid. 5 p. 58; 128 I 81 consid. 2 p. 84 et les références citées; arrêt 6B_539/2010 du 30 mai 2011 consid. 2.2.3 publié in SJ 2012 I p. 293).

En matière d’expertise sur les enfants, la méthode dite du SVA (Statement Analysis Validity), analogue à la méthode dite de l’analyse du témoignage (arrêts 6B_693/2015 du 31 mars 2016 consid. 2.5 et 6B_539/2010 du 30 mai 2011 consid. 2.2.3) est fréquemment appliquée.

L’Analyse du témoignage consiste à analyser le contenu qualitatif de celui-là à l’aune des 19 critères d’analyse – axes d’orientation. Plus le nombre d’indicateurs de crédibilité est élevé, plus la probabilité que le récit du mineur soit basé sur la vérité est forte. Si sur les 19 critères que comporte la méthode du SVA, les cinq premiers sont remplis et au moins deux des 14 critères suivants alors une déclaration peut en principe être estimée comme crédible (John c. YUILLE, L’entrevue de l’enfant dans un contexte d’investigations et l’évaluation systématique de sa déclaration).

Il existe également une liste de vérifications inspirée de la littérature scientifique allemande pour valider les critères susmentionnées en se basant sur la genèse et les circonstances du dévoilement notamment.

Toutefois, il est important de mentionner que la méthode du SVA « vérifie davantage la vérité et la plausibilité que la falsification d’un récit. Elle n’est donc pas un détecteur de mensonges«  (Yves-Hiram Haesevoets, l’enfant victime d’inceste, 2003).

Sauf, que l’être humain ne peut s’empêcher de se demander pourquoi est-ce qu’un enfant inventerait une telle histoire ?

Or, cette question bien qu’intellectuellement légitime se heurte à la nature même de la méthode du SVA.

En effet, la méthode du SVA ne recherche pas les raisons de la falsification d’un récit mais bien les critères de plausibilité de ce dernier avec comme conclusion un degré de crédibilité fort ou faible.

Souvent, l’ensemble d’un procès se focalise sur lesdites raisons alors que la méthode employée par l’expert se soucie d’abord de rechercher les indices de crédibilité et non de mensonge.

Ne serions-nous pas alors entrain d’apprécier la valeur probante d’une expertise à l’aune de critères étrangers à celle-ci?

Certes, la méthode préconisée par le Tribunal fédéral permet grâce à sa liste de vérification de confirmer le résultat obtenu à l’aune du contexte du dévoilement et d’une éventuelle suggestibilité.

Toutefois, ce n’est pas la raison d’être de la méthode d’analyse de la validité de la déclaration que de se demander pourquoi est-ce qu’un enfant mentirait.

Cette question est d’ailleurs infiniment complexe et ne permet que de poser des hypothèses sur les raisons du mensonge (affabulation, vengeance, induction, faux souvenirs, rumeur).

D’ailleurs, il est fréquent que le processus mensonger d’un enfant repose sur des motivations inconscientes (typiquement dans les conflits familiaux) alors que les fausses allégations intentionnelles sont plus présentes chez les adolescents ou les adultes.

A cet égard, de manière inconsciente les allégations d’un enfant peuvent avoir un bénéfice profitable sur sa situation sans que celui-ci ne puisse mesurer les conséquences de son propos. C’est pour cela qu’il convient de bien analyser l’environnement de l’enfant.

Au final, que doit-on déduire d’un résultat d’une expertise de crédibilité indiquant que la crédibilité est vraisemblable? ou forte ? alors que ladite méthode n’est évidemment pas une science exacte.

Le Magistrat prudent évaluera le contexte général de cette expertise à l’aune de l’ensemble du dossier car il est important de tenir compte autant des circonstances et de la constellation familiale ou du dévoilement que du contenu de la déclaration.

Il est donc primordial d’éviter que le procès ne soit centré sur l’aspect rationnel du mensonge au risque de conclusions hâtives et graves.

Albert Habib, av.

 

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